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Courants pédagogiques et TIC
Les fondations théoriques de la recherche en technologie de l'éducation se sont développées en lien étroit avec trois grands courants pédagogiques qui ont chacun représenté un support de réflexion dans la construction d'un environnement d'apprentissage numérique idéal :
- le courant béhavioriste qui a mis en évidence l’importance de l’environnement dans l’apprentissage, des feedbacks procurés à l’apprenant et la nécessité d'enseigner des domaines complexes par la décomposition en sous-domaines ;
- le courant cognitiviste qui a analysé les processus cognitifs mis en œuvre dans les différents types d'apprentissage et les conduites des individus en situation réelle de tâche ;
- le courant constructiviste qui a donné des pistes pour construire des connaissances en interagissant plus librement avec un environnement d'apprentissage.
Afin de mieux comprendre comment les outils technologiques peuvent stimuler l’apprentissage et servir les méthodes pédagogiques, il nous paraît nécessaire de faire un rapide tour d'horizon de ces trois grandes théories de l’apprentissage.
Le béhaviorisme
Fondé par le spécialiste de psychologie animale Watson (1913) dans le prolongement des recherches sur le conditionnement animal menées dès 1889 par le scientifique Russe Pavlov, le béhaviorisme fut développé par les psychologues américains Holland et Skinner. A partir d'expérimentations menées sur des rats et des pigeons, Skinner a tenté de démontrer que le comportement pouvait être façonné en fonction des réponses souhaitées (« reinforcement theory »). Partant du postulat que tout comportement résulte d'un apprentissage, ce courant s’attache à l'étude des comportements manifestés par l'individu. Il s’intéresse aux résultats observables (l'environnement et le comportement) plutôt qu’aux processus d’apprentissage. Les connaissances sont ainsi considérées comme une réalité externe objective que l’apprenant doit assimiler et reproduire et l'apprentissage comme le résultat d'un conditionnement qui peut prendre deux formes : le « conditionnement classique » et le « conditionnement opérant ».
- Le conditionnement classique (pavlovien) consiste à déclencher un comportement « répondant » c'est-à-dire produit de manière involontaire par l'individu en réponse à un stimulus. En administrant le bon stimulus, l'enseignant(e) obtient une modification du comportement chez l'apprenant. Le conditionnement classique se base sur l'expérience bien connue du chien de Pavlov qui se déroule en trois étapes. La première étape consiste à produire un stimulus qui va déclencher par réflexe un comportement chez l'animal : lui présenter de la nourriture (« stimulus inconditionnel ») déclenche sa salivation (« réponse inconditionnée »). La seconde consiste à émettre un son de cloche (« stimulus neutre ») précédant à chaque fois la présentation de la nourriture. La troisième étape se caractérise par l'obtention du résultat souhaité : après une certaine quantité de répétitions de ces séances le son de cloche déclenche par lui-même la salivation (« réponse conditionnée ») chez le chien.
- Le conditionnement opérant consiste quant à lui à produire un comportement volontaire à l'issue de l'apprentissage. Ce comportement s'effectue au travers de variables de contrôle : « le renforcement positif », « la punition positive », « le renforcement négatif » et « la punition négative ».
Le mode de travail pédagogique sur lequel est basé le courant béhavioriste est un mode réactif. L’apprenant est perçu comme un réceptacle dans lequel l’enseignant déverse ses informations. Il écoute, observe et tente de reproduire ce que lui dispense l'enseignant qui est celui qui possède le savoir. L'apprentissage repose ainsi principalement sur l’exposé magistral, la pratique répétée et le découpage en petites unités logiques de l'enseignement afin de faciliter la mémorisation des savoirs et savoir-faire.
Le rationalisme ou cognitivisme
A l'inverse du béhaviorisme, le courant cognitiviste, qui s'est développé de la fin des années 50 aux années 70, s'est attaché à analyser les processus internes de l’apprentissage et à mettre l'accent sur la connaissance. Il porte sur l'étude des processus mentaux et s’intéresse à la manière dont l'information est reçue, traitée et transposée par les apprenants. Pour les cognitivistes, la réponse du sujet à un stimulus n’est pas automatiquement fonction du stimulus lui-même mais de « l’interprétation » que l'apprenant en a faite. Les connaissances sont une réalité externe que le sujet doit intégrer à ses schémas mentaux et réutiliser.
L'apprentissage est ici perçu comme le processus par lequel « se développent, se transforment et s’acquièrent les structures et les capacités cognitives individuelles du sujet au travers de ses actions sur l’environnement ». Il est considéré comme réalisé lorsqu’un changement des structures mentales est observé. Il repose sur trois concepts majeurs :
- les schèmes, structures mentales par lesquelles l'individu organise son environnement ;
- l'assimilation qu'Alain Chaptal décrit comme « le processus cognitif par lequel un apprenant intègre de nouvelles informations et expériences dans les schèmes existants » ;
- l’accommodation qui « conduit à enrichir les schèmes sans en changer la structure ».
Le courant cognitiviste est tourné vers un mode de travail pédagogique proactif au sein duquel les apprentissages s'axent sur les manières de penser et de résoudre des problèmes. Tout le rôle de l'enseignant consiste ici à recourir à des méthodes et des médias pour faciliter l'assimilation et la mémorisation de l'information par l'apprenant : simulation, modélisation, résolution de problèmes etc. Les technologies trouvent toute leur place dans ce modèle pédagogique car elles représentent autant de supports pour aider à l’élaboration de ces stratégies mnémoniques : sélection et traitement rationnel de l’information, utilisation de schémas organisateurs pour former des images mentales significatives (par exemple les cartes heuristiques qui sont de plus en plus utilisées dans le système scolaire) etc.
Le constructivisme et le socio-constructivisme
Reprenant le concept d’assimilation/accommodation cher aux cognitivistes, le courant constructiviste l'a dépassé en démontrant que ce processus était en réalité le fruit d'une interaction sociale dans laquelle l’apprenant était co-auteur de l’acquisition de son savoir. C'est ici son implication qui est le moteur même de l'apprentissage. Le représentant principal de ce courant est Jean Piaget (1896-1980), un psychologue, biologiste, logicien et épistémologue suisse qui centra son étude sur le développement des habiletés de la pensée et du raisonnement du cerveau humain. Sa contribution majeure fut d'expliquer comment se structurent les connaissances et les compétences par le sujet.
Cette pédagogie est centrée sur le sujet. L'apprentissage est considéré comme le résultat d’une construction des savoirs par étapes successives dont le moteur est la participation active de l'apprenant. C'est l'élève qui apprend par l'intermédiaire de ses représentations, elles-mêmes issues de ses expériences antérieures. Les conceptions initiales ne sont pas seulement le point de départ et le résultat de l'activité, elles sont au cœur du processus d'apprentissage. Contrairement au béhaviorisme, l'enseignant ne peut pas déverser la connaissance dans la tête de l'apprenant comme il le voudrait. Son rôle consiste à soutenir ce dernier dans une recherche de sens en lui posant des questions, en stimulant sa curiosité, en l'amenant à manipuler des représentations externes et en facilitant la construction collaborative des connaissances.
Lev Vygotski (1896-1934), avec son concept de « Zone Proximale de Développement » (ZPD), a attiré l'attention sur le rôle fondamental de l'enseignant(e) dans la progression de l’élève. La ZPD représente tout ce que l’élève peut maîtriser quand il est guidé et aidé par une personne compétente, dans un processus collaboratif. Le rôle de l’enseignant consiste ainsi à guider l’apprenant « vers de nouveaux développements de ses connaissances et surtout de lui-même, comme personnalité ». Ce qui différencie principalement les théories de Piaget de celles de Vygotski est le rôle central que ce dernier accorde aux interactions sociales et au langage. Ce concept va donner naissance au socio-constructivisme, courant qui valorise une pédagogie active et non directive et qui s'articule autour d’activités collaboratives.
Le courant constructiviste représente aujourd'hui la base de référence théorique commune en matière de technologies éducatives. Il est considéré aux Etats-Unis comme le plus à même d’accompagner les transformations scolaires attendues. Linard, citée par Chaptal (2003), résume le point de vue communément admis entre TIC et pédagogie : « le modèle behavioriste est dépassé, le modèle cognitiviste en voie de dépassement et le constructivisme non encore épuisé ». Sur le plan des technologies, ce courant a conduit au développement d’applications riches et multiples que Marcel Lebrun récapitule : « partir des expériences concrètes (vidéos, étude de cas, forums …), fournir des outils de réflexion (rappels des connaissances intérieures, grilles d’analyse, questionnaires…), présenter des modèles dynamiques (logiciels de simulation, de modélisation, tableaux de synthèse,…), fournir l’occasion d’appliquer les connaissances acquises dans différents contextes, à la résolution de problèmes variés (études de cas, projets, problèmes, feedbacks, …) ».
Deux courants majeurs pour penser l'intégration des TIC
Parmi les grandes théories d'apprentissage, les recherches sur l'intégration des TIC dans l'enseignement identifient deux courants majeurs (Larose, F., Grenon, V., Lafrance, S., 2002, p.29).
Le premier est fondé sur une épistémologie socio-constructiviste et est largement représenté dans les pays « anglophones » du Pacifique, en particulier l'Australie. Il considère que l'intégration des TIC est vitale pour la survie de l'institution scolaire et qu'elle contribue à la transformation des pratiques pédagogiques.
Le second courant repose sur une intégration de type néo-comportementaliste et pragmatique. Il considère les TIC comme de simples outils compatibles avec un enseignement traditionnel. Selon ce point de vue, les TIC renouvellent simplement le matériel didactique sans remettre en cause le rapport au savoir et affecter la posture de l'enseignant. Elles remplacent seulement l'imprimé ou l'usage du tableau sans modifier les pratiques d'enseignement.
Bien que ces deux courants se côtoient, il apparaît que les TIC sont de plus en plus perçues par les chercheurs comme de puissants leviers de transformations pédagogiques pour peu qu'elles soient utilisées dans un contexte favorable et de manière pertinentes.